vendredi 8 janvier 2010

Choix de vocabulaire journalistique: "Intifada", "nouvel Holocauste" ou "lutte d’indépendance"?

Contexte : Le journaliste Joris Luyendijk critique "la machine médiatique israélienne"

Le journaliste néerlandais Joris Luyendijk qui vient d'être présenté aux lecteurs de La Libre Belgique comme ayant dressé dans son livre Des hommes comme les autres" "le portrait sans complaisance du métier de correspondant étranger au Moyen-Orient [qui] se révèle incisif et cruellement lucide", avait déjà été repéré par Le Monde Diplomatique. Vous aurez compris que tout le monde se trompe de mots sur le Proche-Orient (et d'ailleurs sur les attaques terroristes du 11 septembre) sauf Joris Luyendijk ... Mais sa grande cause c'est indiscutablement Israël. Une des interrogations de ce journaliste "incisif et cruellement lucide" est formulée ainsi: "Devons-nous dire "Israël", l’"entité sioniste ", la "Palestine occupée"? "Intifada", "nouvel Holocauste" ou "lutte d’indépendance"?" Oui vous avez bien lu "nouvel Holocauste" - sans aucune précisition sur le peuple qui est/serait la victime d'un "nouvel Holocauste". Mais la question qu'il ne pose pas dans son article est si Israël a le droit, que le Hamas lui refuse, d'exister.

Journalisme de guerre, Les mots biaisés du Proche-Orient

"Comprendre le quoi, le où, le quand, le qui et le comment, puis écouter chaque partie sur le pourquoi, tout en séparant bien le fait de l’opinion... N’est-ce pas à cela qu’on reconnaît les journaux de qualité ? Et que promettent les spots promotionnels de CNN, Fox News ou Al-Jazira, si ce n’est l’objectivité ? "We report, you decide" : nous rapportons les faits, vous décidez. Pourtant, après avoir travaillé cinq ans comme correspondant au Proche-Orient, ma conclusion est pessimiste : les journalistes occidentaux ne peuvent pas décrire précisément, et encore moins objectivement, le monde arabe ni le Proche-Orient. Même en suivant à la lettre les règles journalistiques, ils peignent un tableau profondément déformé de la région.

Le problème essentiel tient aux mots utilisés : ceux qu’emploient les journalistes ne signifient rien pour les publics européen ou américain, ou sont compris de manières différentes, ou sont tout simplement biaisés. [...]

Le mot "occupation" peut-il être, lui aussi, vide de sens pour les lecteurs et les téléspectateurs occidentaux ? Un tel vide expliquerait pourquoi on multiplie les pressions sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle prouve qu’elle "en fait assez contre la violence" alors qu’on ne demande presque jamais aux porte-parole du gouvernement israélien s’ils "en font assez contre l’occupation". Nul doute qu’en Occident le citoyen sait ce qu’est la menace terroriste, ne serait-ce que parce que les responsables politiques le lui rappellent régulièrement. Mais qui explique aux publics occidentaux la terreur qui se cache derrière le mot "occupation" ? Quelle que soit l’année à laquelle on se réfère, le nombre de civils palestiniens tués en raison de l’occupation israélienne est au moins trois fois supérieur à celui des civils israéliens morts à la suite d’attentats. Mais les correspondants et les commentateurs occidentaux, qui évoquent les "sanglants attentats-suicides", ne parlent jamais de la "sanglante occupation ". [...]

Certains mots ne disent rien aux citoyens ordinaires. D’autres évoquent autre chose que ce qu’on a voulu dire. Ils sont intrinsèquement biaisés : quelques minutes de zapping sur les chaînes satellitaires suffisent à le démontrer. Devons-nous dire "Israël", l’"entité sioniste ", la "Palestine occupée" ? "Intifada", "nouvel Holocauste" ou "lutte d’indépendance"? Ce bout de terre est-il "contesté" ou "occupé", et doit-il être "donné" ou "rendu" ? Est-ce une "concession" quand Israël remplit une obligation figurant dans un traité qui a été signé ? Est-ce qu’il y a "négociation" entre Israéliens et Palestiniens, et si c’est le cas, quelle est la marge de manœuvre des Palestiniens sachant que le terme "négociation" implique des concessions mutuelles entre deux parties plus ou moins égales ?

Il n’y a pas de mot neutre. Quel vocabulaire adopter, alors ? Pas facile d’écrire une dépêche de ce type : "Aujourd’hui en Judée et Samarie/dans les territoires palestiniens/dans les territoires occupés/dans les territoires disputés/dans les territoires libérés, trois Palestiniens innocents/terroristes musulmans ont été éliminés préventivement/brutalement assassinés/tués par l’ennemi sioniste/par les troupes d’occupation israéliennes/par les forces de défense israélienne." Ou, sur l’Irak : "Aujourd’hui, les croisés sionistes/troupes d’occupation américaines/forces de la coalition ont attaqué des bases de la résistance musulmane/des terroristes/des cellules terroristes". [...]

Pourtant, il y a une catégorie de mots pour lesquels les médias occidentaux pourraient faire mieux. Pourquoi un juif qui réclame la terre qui lui a été donnée par Dieu est-il un "ultranationaliste", alors qu’un musulman qui tient le même raisonnement est un "fondamentaliste" ? [...] Un responsable politique israélien qui croit que seule la violence peut protéger son peuple est appelé un "faucon". A-t-on jamais entendu parler d’un "faucon" palestinien ? Non, c’est un "extrémiste" ou un "terroriste". Les responsables israéliens qui croient au dialogue sont des "colombes". Pourtant, un Palestinien qui choisit la même voie est appelé un "modéré", ce qui laisse entendre que, bien que la violence soit logée dans le cœur de chaque Palestinien, celui-là est parvenu, grâces en soient rendues à Allah, à "modérer" sa nature profonde. Et pendant que le Hamas "hait" Israël, aucun parti ou leader israélien n’a jamais "haï" les Palestiniens, même quand ces dirigeants profitent de leur fauteuil gouvernemental pour prôner leur expulsion. A moins qu’il ne s’agisse d’un " nettoyage ethnique" ? Ou d’un "déménagement involontaire"? Ou d’un "transfert"? [...]"

Photo d'enfants palestiniens "militants" prise en janvier 2006 à Sajaiah. L'endoctrinement à la haine commence tôt.

1 commentaire :

Gilles-Michel DEHARBE a dit…

Les attentats suicides qui frappent les civils israéliens au hasard suscitent à la fois l’indignation et l’incompréhension des Occidentaux. Considéré comme un moyen fondamentalement illégitime de lutte politique, cet acte de terreur est également dénoncé par des personnalités politiques, religieuses
et par certains intellectuels palestiniens.

Au-delà de la condamnation morale, l’opinion publique manifeste son étonnement face à une démarche perçue comme irrationnelle, celle de jeunes qui décident de se transformer en bombes humaines. Certains sont alors tentés de croire que les kamikazes sont les proies de chefs politiques cyniques et manipulateurs usant de méthodes redoutables pour former des machines à tuer.

D’autres considèrent que l’attentat suicide est la manifestation ultime du
désespoir de Palestiniens pauvres et dépourvus de perspectives d’avenir.

Ces approches sont simplificatrices et ne rendent compte ni des mécanismes politiques, sociaux et
psychologiques qui sous-tendent ce type d’action, ni de l’ampleur du phénomène qui se répète et gagne la faveur de nouveaux protagonistes.

Expliquer les attentats
suicides ne revient en aucune manière à les justifier :
il s’agit de décrypter les
logiques sous-jacentes du basculement dans la violence radicale.

L’éventail des candidats à
l’attentat suicide s’élargit et il est plus difficile aujourd’hui de définir leur profil sociologique.
Plusieurs facteurs expliquent la disponibilité des petits frères à se transformer en bombes humaines. À la différence de leurs aînés, ils ne possèdent qu’une faible culture politique et sont réservés face aux structures partisanes. Alors que la première génération récoltait les fruits d’un travail de terrain effectué dans les années soixante-dix et quatre-vingt par les formations politiques, celles-ci sont moins efficaces à l’ère de l’autonomie palestinienne. L’éloignement
de la jeunesse vis-à-vis des organisations politiques s’explique également par sa réticence à s’inscrire dans des rapports conflictuels. Les tensions qui opposent les mouvements islamistes au pouvoir désorientent la population et les jeunes encore plus fortement dans la mesure où elles écornent le mythe de l’unanimité palestinienne.

Les "petits frères" perçoivent les oppositions entre représentants des partis politiques comme stériles ; aussi refusent-ils de souscrire aux stratégies défendues par les uns ou les autres. En se tenant à distance, cette génération n’accède pas à un
certain type de socialisation politique.

Les plus jeunes, comme certains "journalistes" ne perçoivent bien souvent chez l’adversaire que la figure de "l’occupant", matérialisée par le soldat ou le "colon". Faute de contact, ils entretiennent un rapport presque fantasmé à cet ennemi politique, qu’ils ont du mal à imaginer sous un jour humain.

Aussi envisagent-ils avec davantage de facilité la perspective de provoquer la mort de civils israéliens.

* Se transformer en kamikaze permet de court-circuiter la médiation politique, d’échapper à l’impuissance collective et individuelle en réalisant personnellement un acte de guerre contre l’ennemi.

S’il semble indiquer l’étendue du désarroi collectif, ce phénomène paraît aussi participer d’un processus d’individuation et d’affirmation de soi au sein de la société palestinienne.

Il n'est pas fait cas ici, des processus d'endoctrinement, qui ont leur spécificité "propre" ...

Le choix du vocabulaire journalistiquement "orienté" et/ou
détourné est également une forme d'endoctrinement médiatique et les "foyers" occidentaux n'étant pas sur le terrain, pensent que le fait de s'y trouver est un gage d'authenticité ! Pour ma part, je serais tenté de dire que la majorité d'entre eux s'en foutent totalement, car la presse joue contre elle à terme, perdant de sa crédibilité par ses discours paradoxaux au long court depuis des décennies, la durée favorisant l'accoutumance, ultime étape avant l'indifférence !