samedi 7 avril 2012

Richard Wagner, un antisémite maître spirituel de Hitler?

"Une chose me touche au plus profond de moi-même: ce Wagner avait dit de lui-même qu’il était le plus allemand de tous les Allemands. Et pour nous qui avons porté au pinacle la langue et la philosophie allemandes dont il se prétendait le produit le plus abouti, ne sommes-nous pas passés à côté de l’essentiel?"
À propos du livre de Pierre-André TAGUIEFF, Wagner contre les Juifs (Berg International, 2012), par Maurice-Ruben HAYOUN (Sur le ring)

Définir aussi précisément que possible l’antisémitisme de Wagner, sans tomber dans l’anachronisme, ni céder à des raccourcis faciles, tel est l’objectif largement atteint de ce nouveau livre de notre éminent collègue Pierre-André Taguieff. Depuis le beau livre du grand historien israélo-hongrois Jacob Katz qui avait travaillé sur cette même question (Wagner et la question juive, traduit en 1986), deux écoles s’affrontent sur cette question, à la fois  épineuse et cruciale: existe-t-il une ligne historique directe ou indirecte entre la détestation des Juifs par Wagner et l’antisémitisme exterminateur des Nazis? En termes plus crus: Wagner a-t-il été d’une manière ou d’une autre une sorte de maître à penser d’Hitler, au point de l’influencer dans son génocide largement planifié du peuple juif? De la réponse à cette question dépend l’honorabilité ou, au contraire, la déchéance morale du grand musicien. Sans même parler du discrédit qui rejaillirait alors immanquablement sur son œuvre. Il y a, comme vient de l’écrire deux tendances, grosso modo: l’une prétend que l’auteur de toute cette mythologie musicale germanique n’avait rien à voir avec l’hitlérisme et que sa judéophobie, largement partagée par d’innombrables secteurs de la population allemande au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, faisait partie du Zeitgeist, tandis que l’autre entend établir un rapport incontestable de cause à effet entre les écrits théoriques de Wagner et l’antisémitisme racial et génocidaire des Nazis.

Pierre–André Taguieff a subtilement évité cet écueil dès son titre puisqu’il parle d’un Wagner contre les Juifs. Sans plus. Le reste, le lecteur attentif le découvrira s’il a, comme nous l’espérons, la patience de regarder les choses de près.

L’antisémitisme wagnérien est incontestable mais encore faut-il en définir la nature. Wagner a incontestablement cherché à montrer, voire à prouver que la germanité était inconciliable avec la judéité. Et ce triste débat a connu un prolongement après la mort de Wagner, en 1912 dans la revue pangermaniste Kunstwart, entre Moritz Goldstein et Ernst Lissauer, le premier se voulait partisan de l’affirmation de l’identité juive tandis que l’autre, auteur du tristement célèbre chant de haine contre l’Angleterre (Haßgesang gegen England), optait résolument pour une fusion, une disparition des Juifs au sein de l’ethnie allemande. Détail significatif: le rédacteur en chef de cette revue pangermaniste, Ferdinand Avenarius, a reconnu avoir près d’une centaine de lettres de ses lecteurs.  Il y a de nombreuses années, j’avais eu l’occasion de publier la traduction française de ces textes dont l’arrière-plan wagnérien n’était guère douteux.


Walter Scheel, alors président de la RFA, avait eu l’idée (bonne ou mauvaise, à chacun de juger) de poser, à sa façon, la question des relations entre Wagner et son admirateur, Adolf Hitler: Was könnte Wagner dagegen ausrichten, daß Hitler ihn  mochte? Que pouvait faire Wagner contre le fait qu’Hitler l’aimait? Il n’est pas uniquement question ici de la musique du héros de Bayreuth, mais aussi de l’ensemble de son œuvre théorique puisque l’auteur de l’Anneau du Nibelung avait des idées politiques dont l’axe central demeurait tout de même le rejet, voire la haine du Juif.

On connaît la phrase désabusée de Hitler (Quand je réalise qu’un Meyerbeer était le contemporain de Wagner!) dont le ministre de la propagande Joseph Goebbels avait largement annexée la musique wagnérienne à la politique culturelle du Reich. Mais la tentation fut grande, jadis, de voir en Wagner, l’authentique interprète des mouvements les plus intimes de l’âme  germanique, menacée selon lui par les Juifs, peuple étrange et étranger à la fois, venu édulcorer, par sa musique et sa littérature, la pureté et l’authenticité de la race germanique.

Beaucoup de gens importants dans la république des arts et des lettres ont succombé, au moins momentanément au charme de la musique de Wagner: le jeune Nietzsche (voir ici même p. 46, note 190) n’y fait pas exception mais il ne tarda pas à rompre avec un milieu qui lui paraissait infesté de courtisans et de thuriféraires… Il va même jusqu’à écrire qu’il ne manque pas de malhonnêtes gens dans l’entourage du maître, pas même… les antisémites! On ne peut pas y voir une allusion au gendre (posthume) du maître, Houston Stewart Chamberlain, mais plutôt à sa propre épouse Cosima qui anima les Bayreuther Blätter après la disparition de Wagner.

Avec le soin scrupuleux de l’historien averti et du philologique exigeant, Pierre-André Taguieff revient sur un certain nombre de traductions de Wagner qu’il juge fautives: ainsi propose-t-il de traduire Das Judenthum in der Musik non plus par «Le judaïsme dans la musique», mais par «La juiverie dans la musique», au motif que, selon lui, ce terme Judentum (dans son orthographe ancienne avec un TH) aurait une connotation largement péjorative et renverrait à des idiosyncrasies  cristallisant tout le négatif incarné par le Juif . C’est peut-être vrai, mais au plan géographique, pour marquer les sites d’implantation juive, la langue allemande utilise le terme (que je n’aime pas) de Judenschaft.

Pierre-André Taguieff montre à l’envi que le trait le plus caractéristique de l’antisémitisme de Wagner et de sa chère épouse Cosima est et demeure l’ambiguïté, voire l’ambivalence. Celles-ci éclatent dans toute leur négativité lorsque  le maître et son épouse croient déceler en un Juif bien défini moins de défauts rédhibitoires que ceux dont ils ont décidé d’affubler tous les autres… Le cas du chef d’orchestre juif Hermann Lévi, de surcroît fils de rabbin, est éloquent, puisqu’il fut choisi pour diriger Parsifal… Il y a aussi le cas d’un autre proche de Wagner, Neumann, son impresario, l’un des principaux architectes de Bayreuth (il se disait même que c’étaient eux, les Juifs, qui avaient construit le mythe de Bayreuth où ils aimaient se montrer…).

L’attitude face aux Juifs, on l’aura compris, ne laisse pas d’être largement contradictoire, le maître oscillant entre un pseudo-désir d’être juste et de reconnaître les mérites de chacun, et cette tendance paranoïaque qui lui fait apparaître Meyerbeer comme son ennemi mortel , complotant dans l’ombre pour lui nuire et entraver sa propre gloire ainsi que la large diffusion de sa musique. Cette rivalité d’ordre professionnel joue, selon nous, un grand rôle dans le rejet presque psychanalytique du Juif, et on pourrait même y ajouter les doutes que Wagner nourrissait quant à sa filiation. Déjà le livre de Katz avait accordé de longs développements aux relations de la mère de Wagner et d’un ami de ma famille nommé Ludwig Geyer, un acteur d’origine juive que sa mère épousera environ un an après le décès de son époux…

Il reste que Wagner a probablement été le compositeur qui avait le plus lu et médité les ouvrages de philosophie et d’histoire publiés de son temps. Un écrivain, diplomate de son état mais aussi auteur de théories «racialistes» exerça sur Wagner une influence relativement mineure, en raison du pessimisme qui s’exhalait de ses écrits et qui se révéla incompatible avec l’idée de régénération de Wagner. Il s’agit de Joseph Arthur de Gobineau dont la popularité en Allemagne dépassait – et de loin - ce qu’elle avait pu être en France. J’ai pu m’y arrêter longuement dans mon livre intitulé Renan, la Bible et les Juifs (Arléa, 2009): même le philosophe-historien de Tréguier sembla peu ouvert au pessimisme foncier du comte et usa de toutes sortes de subterfuges pour ne pas recenser le premier volume de son Essai sur l’inégalité des races humaines. Mais ce fut tout de même Wagner qui parla à Ludwig Schemann de Gobineau dont il allait devenir le traducteur et le grand propagandiste en Allemagne. 

Pierre-André Taguieff a mentionné ici (p. 118) une expression comme le «wagnéro-gobinisme», qui me paraît fondamentale: elle exprime bien le grand retentissement  prodigieux du fameux Essai sur l’inégalité des races humaines en Allemagne. Mais j’avoue ne pas encore avoir compris pour quelles raisons précises, le rôle de corrupteur, de menace –même biologique - contre le peuple allemand, fut dévolu au Juif. On ne se rend pas immédiatement compte du caractère dévastateur de certaines formules de certains penseurs allemands contemporains, comme par exemple le grand historien nationaliste Heinrich von Treitschke; ce dernier, empêtré dans une violente controverse avec son alter ego juif, Heinrich Grätz avait écrit dans les Annales Prussiennes  une phrase dont il ne soupçonnait nullement (ici p. 177) l’horrible retentissement: Die Juden sind unser Unglück (les Juifs sont notre malheur).

Comme Wagner chez qui l’on trouve sans peine des formules tout aussi condamnables, l’on ne peut pas affirmer que von Treitschke savait quel usage sanguinaire les Nazis feraient de ses formules, moins de quatre décennies plus tard…  Bien que ces deux hommes, l’historien et le musicien, aient livré le creuset où s’élaborèrent tous ces ressentiments antisémites, on ne peut pas, sauf à tordre la vérité historique, leur imputer la paternité de l’extermination des juifs d’Europe… L’auteur passe au crible une analyse de Theodor Wiesengrund-Adorno qui impute à Wagner un rôle décisif dans l’extermination physique des Juifs; P.-A. Taguieff signale aussi, cependant, que vers la fin de sa vie, le grand universitaire de Francfort-sur-le-Main reconnaissait devant ses fidèles étudiants qu’il n’avait pas observé une distance critique suffisante pour juger objectivement de cette affaire… Il y a, c’est incontestable, cette terrible phrase terminale  qui conclut La juiverie dans la musique: sombrer!  Mais  Wagner ne fut pas le seul à penser ainsi: j’ai souvenance d’une lettre que Rahel Varnhagen (qui finit par se faire baptiser) a adressée à son frère où elle lui recommandait de «tuer le juifs en nous…» Je trouve Rahel bien plus violente que Wagner qui, lui au moins, n’est pas né juif, même si des doutes sérieux subsistent quant à sa réelle filiation.

Cette époque eut le triste privilège d’être celle où la «question juive» (comme aimait à le dire) se posait avec une acuité toute particulière et P.-A. Taguieff expose dans un chapitre spécifique la solution wagnérienne.  En France, on préférait parler du «problème juif» tandis qu’en Allemagne on a toujours dit la «question juive» (Judenfrage). On ne s’est jamais posé la question  de savoir si les Juifs avaient été perçus par eux-mêmes comme une question ou s’ils n’étaient un problème qu’aux yeux des autres.  Ces différentes appellations s’en référaient aux difficultés d’intégrer les Juifs d’Europe au sein de sociétés de culture chrétienne.

Comme Wagner a su se frayer un chemin en direction des riches et des puissants qui l’ont adulé et statufié à Bayreuth et ailleurs, on omet souvent de rappeler qu’il fut, dans sa jeunesse, un authentique romantique révolutionnaire et qu’il participa au soulèvement de Dresde; il dut même fuir cette ville en 1849, après avoir fait de l’agitation aux côtés d’un révolutionnaire autrement plus célèbre, Mikhaïl Bakounine… Mais de 1849 à 1871, Wagner avait fini par choisir son camp, celui des forces de la restauration et du conservatisme. Il avait dû affronter la misère pendant quelques années et cette épreuve avait suscité en lui une profonde aspiration: ne plus jamais être dans le besoin, pouvoir se procurer tout ce dont il avait besoin. Il suffit de relire les lignes échangées avec le roi Louis II de Bavière pour s’en convaincre. Il aspirait à devenir un musicien, un artiste d’État, être pensionné dès son plus jeune âge! Et dans cette quête éperdue d’un bonheur matériel stable, Wagner a considéré que la juiverie, comme il aimait la nommer, était un obstacle sur son chemin. Ce qui explique que son pamphlet La juiverie dans la musique n’est nullement une improvisation ni une œuvre de circonstance, mais une véritable profession de foi, un témoignage crucial da saWeltanschauung… Mais cette judéophobie, cet antisémitisme imprégnait largement, comme on l’a relevé supra, l’air du temps, le Zeitgeist. Même du côté juif, on pouvait lire les déclarations grinçantes d’un Henri Heine qui n’hésitait pas à maudire la vallée du Nil d’où les enfants d’Israël ont pu s’enfuir pour survivre jusqu’à son époque. Ce Heine qui considérait le judaïsme non point comme une religion (bonne ou mauvaise) mais comme une véritable maladie. À ses yeux les Juifs souffraient d’une triple affliction:  la souffrance, la pauvreté et la maladie car leur judéité n’était rien d’autre qu’une pathologie! Wagner n’a donc pas tout inventé, l’idéologie antisémite avait déjà de solides soutiens dans le monde des idées. Le pamphlet de Wagner, publié pour la première fois en 1850, connut une réédition en 1869. Et dans sa lettre à Madame Marie Mouchanoff, Wagner justifie son point  de vue, n’hésite pas même à l’aggraver: il  se complait dans une sorte de victimologie qui est le fruit de son imagination.

Pour parachever sa volonté de délégitimer le peuple juif, réputé le peuple élu, Wagner n’hésite à faire du peuple allemand le peuple originel, l’Urvolk, une idée déjà utilisée par Fichte dans ses Discours à la nation allemande. 

Mais l’aspect le plus inquiétant et qui pouvait augurer de la suite, à l’insu de son auteur probablement, concerne l’affirmation du caractère indélébile des traits juifs (jüdische Merkmale). Certains antisémites allaient jusqu’à assurer que même la conversion n’y changerait rien. Si l’on pousse un tel raisonnement jusqu’au bout de sa logique criminelle, on aboutit à l’extermination pure et simple. Cependant, on ne trouve pas une telle déclaration explicitement énoncée  dans l’ensemble (voir p. 105) de l’œuvre de Wagner… Mais on est conduit à se poser la même question: pourquoi un tel acharnement? Une telle obsession? Certes, Wagner a pu avoir des concurrents juifs (G. Meyerbeer, Jacques Offenbach), mais cela justifiait-il une telle attitude ? À  près de vingt ans d’intervalle, cette monomanie n’avait pris une ride, bien au contraire, elle s’affirmait avec toujours plus de force. L’historien des idées Hans Mayer, cité par Pierre-André Taguieff, rappelle que l’Allemagne de cette époque, en gésine d’un sauveur, voulait voir dans tout artiste créatif et inspiré, un sorte de génie, de sauveur ou de prophète, porteur d’un idéal  quasi-messianique. Il n’est pas exclu que Wagner  se soit senti investi d’une telle mission. Héros et prophète de l’Allemagne et de son génie insurpassable qu’il incarnait pleinement, quiconque se dressait sur son chemin devenait son ennemi et eo ipso celui de l’Allemagne dans son ensemble!

Le grand compositeur était animé d’un énorme ressentiment et éprouvait tant de sentiments de frustration: ainsi, après son échec retentissant à Paris, il envisagea, d’après le journal intime de sa femme Cosima, de demander à Bismarck d’écraser Paris sous les obus de son artillerie, voire même de brûler la capitale française qui faisait figure de grande pécheresse à ses yeux: vouloir annihiler toute une métropole au motif exclusif qu’elle n’avait pas honneur à l’un de ses drames musicaux… Wagner n’avait probablement jamais feuilleté le livre de Jonas qui exhale son dépit lorsque le Seigneur refuse d’annihiler Ninive et tous ses habitants.

Wagner a-t-il été influencé dans son antisémitisme par les courants philosophiques irriguant l’Allemagne de son époque? C’est quasi certain et la phrase de George L. Mosse selon lequel l’antisémitisme allemand fait partie de l’histoire intellectuelle allemande recouvre, hélas, une triste réalité! Et je me permets d’ajouter que vu mon cursus, c’est un constat qui me coûte… Le fondateur de la germanistique française, le grand Charles Andler (qui a, en autres, bien étudié les œuvres de Fr. Nietzsche) et qui, natif d’Alsace en 1866, ressentit dans sa chair les oppositions franco-allemandes de son temps, nous a appris que nous devions faire le départ entre l’Allemagne spirituelle (das geistige Deutschland)  et l’Allemagne politico-militaire, incarnée par le chancelier de fer Otto von Bismarck. Nous devions étudier les œuvres impérissable de la première sans nous préoccuper des méfaits de la seconde. Visiblement, Mosse va bien plus loin puisqu’il semble affirmer que la grande majorité des penseurs, philosophes et écrivains de l’aire germanique sont coupables d’antisémitisme…

Que Ludwig Feuerbach avec ses conceptions matérialistes ait cloué au pilori le christianisme, mais surtout sa source originelle, le judaïsme, pour privilégier le polythéisme grec, il n’y a là rien d’étonnant. Mais sa critique de la religion juive glisse inéluctablement vers des idées largement antisémites. Est-ce une nouveauté? Pas vraiment, puisque même un homme comme Kant, pourtant ami de Juifs comme Markus Herz et Salomon Maimon (tous deux admiratifs de son criticisme), ne nourrissait pas à l’égard du judaïsme des idées neutres… Il refusa de placer le judaïsme parmi les religions ou les spiritualités, arguant que c’était un conglomérat de statuts et articula même la violente accusation d’Ethnizismus (ethnicisme) contre lui. Hermann Cohen, son disciple de Marbourg, signala cette tendance dans le recueil d’Écrits juifs (Jüdische Schriften). Pourtant, les kantiens juifs furent légion, même en Israël où l’on se montra très favorable à cet impératif catégorique qui évoquait aux yeux des Juifs religieux la notion de loi, et donc de Tora, contrairement à l’antinomisme paulinien qui finit s’imposer au  sein du christianisme primitif.

Mais Fichte ira, selon moi, bien plus loin, en dépit de son introduction dans les salons berlinois grâce à une célèbre femme juive… Ce philosophe nationaliste allemand (il suffit de se reporter à ses Discours à la nation allemande pour s’en convaincre) ne respectait véritablement qu’un seul Juif, Salomon Maimon, en raison de sa publication intitulée Essai de philosophie transcendantale… Il ne tarissait pas d’éloges sur son mentor juif qui avait adressé au criticisme kantien des remarques qui ont permis à l’idéalisme d’avoir une seconde vie… Fichte ne disait-il pas qu’il rêvait de couper la tête de tous les Juifs afin de la recoudre avec d’autres idées ? Voici un argument quelque peu étonnant sous la plume d’un philosophe!  En fait, Fichte ne supportait  pas l’idée de l’élection divine des Juifs ni surtout leur statut de peuple prétendument originel. Il destinait cette place si enviée à son propre peuple, les Allemands. Et cette idée que le salut viendrait un jour du peuple allemand se retrouve, bien plus tard, même dans la bouche d’un social-démocrate allemand, Gustav Stresemann qui fit, en 1918, alors que son pays avait subi une effroyable défaite, la proclamation suivante : am deutschen Wesen wird die Welt genesen (C’est par l’essence allemande que le monde sera régénéré…)  Cette «usurpation» messianique a donc fait florès depuis le milieu du XIXe siècle.

Arthur Schopenhauer ne fait pas exception dans cette galerie de philosophes germaniques, lui qui assignait au Nouveau Testament des origines hindoues ou brahmanes et ne voulait pas entendre parler de judaïsme qu’il stigmatisait copieusement pour sa joyeuse prise de possession du monde et pour son optimisme… Il reprenait les idées de Marcion dont le souci majeur est de couper l’Eglise de toutes ses racines juives. Mais l’auteur du Monde comme volonté et représentation (un livre qui avait nettement séduit son lecteur Wagner lequel lui tressa des couronnes sa vie durant) allait bien plus loin puisqu’il refusait le récit biblique de l’Exode des Hébreux d’Égypte, arguant que ce sont les Égyptiens qui les chassèrent du pays en raison de leurs maladies contagieuses et leur irrépressible kleptomanie… Il ajoutait même que les chiffres avancés par la Bible étaient fantaisistes car comment un tel désert aurait-il pu fournir une alimentation suffisante pour une telle population? Et pour bien montrer de quel côté penchait son cœur, Schopenhauer concluait que le monothéisme (originellement juif) avait pour corollaire l’intolérance… C’est ce philosophe qui insistera le plus sur ce qu’il nommait la «puanteur juive», une remarque qui marquera profondément son fidèle lecteur  Wagner.

Le problème auquel ce brillant ouvrage de P.-A. Taguieff tente d’apporter une réponse est, on se le rappelle, le suivant: quel fut l’apport spécifique, individuel et originel de Wagner à l’antisémitisme allemand en général et dans quelle mesure a-t-il fourni des arguments (ou des munitions) à la Shoah? Certains ont voulu voir en Wagner le père spirituel d’Hitler, mais il s’agit là d’un saisissant raccourci que les historiens les plus réputés et les plus fiables ont – à juste titre - refusé de valider. Taguieff consacre à cette problématique son chapitre le plus long et le plus nourri. On y rencontre un Wagner, certes, fidèle à ses idées mais qui refuse de signer une pétition publique d’une ligue antisémite par trop voyante et bruyante, redoutant peut-être des conséquences qu’il pourrait regretter par la suite. Mais cette retenue n’est pas du tout un retrait, l’homme reste fidèle à ses idées développées dans La juiverie dans le musique tant en 1850 que dix-neuf années plus tard.

Il convient de ne pas oublier les effets pervers de la grande crise économique qui suivit les fameuses Gründerjahre de l’ère bismarckienne; et là aussi, les Juifs devaient jouer le rôle de bouc-émissaire (Sündenbock) puisqu’on voyait en eux soit les instigateurs de la dépression soit ceux qui en tiraient le plus grand profit. 
Plus tard, lorsque le spectre de la Grande guerre se profila avec une insistance toujours plus grande sur l’Europe, les partis et les journaux antisémites désignèrent les Juifs comme les vrais responsables, les organisateurs de ce complot ourdi contre l’Allemagne avec la complicité active des grandes puissances, la France et l’Angleterre. Du coup, lorsque sonna l’heure de la défaite, les Juifs  se retrouvèrent une fois encore sur le banc des accusés. Erich Ludendorff, le généralissime allemand, n’hésite pas à écrire dans un ouvrage paru en 1921 que la juiverie internationale (Das Weltjudentum) est responsable de la défaite de l’Allemagne. Les forces armées allemandes estimaient avoir été trahies par l’arrière alors qu’elles tenaient bon au front. D’où la fameuse légende du coup de poignard dans le dos (Dolchstoßlegende)…

On s’appuya, pour ce faire, sur les Protocoles des sages de Sion: même Hitler s’y réfèrera dans Mein Kampf en s’en prenant violemment aux Juifs. Le Führer stigmatisait le bolchevisme juif tandis que d’autres clouaient au pilori le rôle des Juifs dans le système capitaliste. Leur action politique dissolvante (certains d’entre eux dirigeaient la social-démocratie allemande, voire des mouvements d’extrême gauche) avait fini par causer la perte de la patrie allemande. Au fond, on finit toujours par retrouver le même raisonnement: le Juif, élément étranger, inassimilable, inéliminable, étranger nulle part et partout chez lui, dissout petit à petit l’identité germanique de l’Allemagne et mutile gravement l’âme de son peuple. Un peu plus tard, on stigmatisera la main mise des Juifs sur la presse, notamment libérale, et cela donnera naissance à la terrible accusation de «reptilisme journalistique». Toujours, cette vieille assimilation du Juif à un animal venimeux dont le poison tue…

À la suite de spécialistes israéliens, Taguieff nous livre d’intéressants commentaires sur la fluidité terminologique des antisémites allemands de l’époque, et notamment de Wagner lui-même. Comme le discours antisémite est tout sauf cohérent (même lorsqu’il n’est pas dépourvu d’une certaine logique délirante interne) ses partisans font preuve involontairement d’un certain éclectisme, ce qui complique d’autant la définition même de leur haine anti-juive: est-ce un racisme biologique, la conviction que les Juifs sont définitivement un élément étranger inassimilable? Est-ce que la solution de la question juive ne pouvait être que la solution finale (Endlösung)? La question ne se laisse pas trancher facilement.  Existe-t-il vraiment une lien direct entre Hitler, Rosenberg, Houston Stewart Chamberlain et Wagner qui serait la base de ce monstrueux montage? Au fond, c’est là toute la question car même Wagner ne répugnait pas, à l’occasion, à emprunter à la terminologue de l’antisémitisme biologique. Ne dit-il pas à maintes reprises, et dès les premiers lignes de La juiverie dans la musique, que la seule présence – physique - d’un Juif dans son entourage suscitait en lui un sentiment de rejet et de malaise? Ce wagnérisme a-t-il influencé Hitler? On a du mal à tirer cela au clair car l’adolescent Hitler avait bien assisté à des représentations de Wagner dans sa ville de province et en 1923 il reconnaîtra qu’il fut immédiatement conquis par un maître qui savait, mieux que tout autre parler à l’âme allemande… Ayant conquis le pouvoir, le Führer instrumentalisera les drames musicaux avec le redoutable concours d’un grand spécialiste de la propagande comme Joseph Goebbels…

On ne doit pas omettre de souligner l’importance qui revient à l’ouvrage d’Alfred Rosenberg, Le Mythe du XXe siècle, paru en 1930 et où l’auteur tresse des couronnes à Wagner dont il fait l’interprète le plus accomplie de la race nordique-germanique où les Juifs n’ont aucune place et d’où ils doivent être chassés. Dans cet ouvrage, Rosenberg se fait le champion du «désenjuivement» (Entjudung) puisque, selon lui, l’Allemagne souffre de «l’enjuivement » (Verjudung)… À la lecture de tels syntagmes dont la seule langue allemande semble avoir le secret, on peine à en croire ses yeux! Quand on pense à tous ces écrivains judéo-allemands qui érigèrent les plus beaux monuments de la littérature et de la philosophie allemandes et qui firent de cette langue le medium linguistique le plus influent de l’Europe de l’entre deux guerres, on se demande quelle maladie a bien pu s’abattre sur ces gens… Ignoraient-ils la Lorelei de Henri Heine ou les Schwarzwälder Dorfgeschichten (Contes villageois de la Forêt-Noire) de Berthold Auerbach, un petit-fils de rabbin, qui avait même songé un temps marcher sur les traces de son grand-père…

Je m’arrête un instant sur cette phrase incroyable de Paul de Lagarde qui affirmait sans rire; nous sommes antisémites mais pas des ennemis des Juifs… Voulait-on simplement dire que les Juifs devaient abandonner leur attachement à leur religion et à leur nationalité antique, en somme réaliser une conversion foncière au christianisme, et qu’une fois que cette formalité sera accomplie, le problème juif serait résolu? Dans ce cas, il ne s’agirait pas ici d’une racialisation du Juif mais d’une simple coercition à caractère religieux, un peu comme le décret d’expulsion d’Isabelle la catholique qui laissait aux Juifs le choix entre la conversion et l’expulsion des possessions de la couronne.

Je lis en page 228 une déclaration de Wagner (Connais-toi toi-même) une phrase qui se retrouve, sous une forme très proche, dans Mein Kampf d’Hitler:  Wagner parle de l’exemple le plus étonnant de permanence raciale que l’histoire mondiale ait jamais produit…  Hitler, quant à lui, évoque le plus fort et le plus persistant instinct de conservation de ce peuple (der stärkste Selbsterhaltungstrieb dieses Volkes)… Le Führer s’est simplement contenté de paraphraser sa source wagnérienne!

P.-A. Taguieff montre qu’il y a Wagner et le wagnérisme car il est indéniable que le gendre et le thuriféraire du musicien, Chamberlain, a infléchi sa pensée politique dans le sens souhaité par les Nazis. Il serait donc en majeure partie responsable de la nazification  à la fois de l’œuvre et des idées de son idole.  Mais il y a plus: le cas Wagner est insaisissable, même s’il a proféré des phrases qui, dûment nazifiées, ont conduit à une apocalypse. J’apprécie les deux  dernières phrases de P.-A. Taguieff qui parle de la tâche indélébile de l’antisémitisme sur l’œuvre de Wagner tout  en ajoutant que cette série de paradoxes nous donne matière à penser. Jacob Katz allait dans le même sens en écrivant à la fin de son ouvrage, Le cas Wagner: Wagner sitzt zu Gericht über Wagner (Wagner comparaît devant lui-même, devant sa conscience), s’il en avait vraiment une.

Un rapide coup d’œil sur les textes de Wagner excellemment traduits et très bien annotés montre que notre homme pensait les Juifs et les Allemands dans des catégories strictement antinomiques. Ceci est particulièrement criant dans la lettre à Madame Marie Mouchanoff et dans le texte intitulé Modernes, ce dernier me rappelant le texte désespéré de Moritz Goldstein (Kunstwart 1912) où on pouvait lire cette phrase que même Wagner ne renierait pas: Nous autres Juifs gérons le patrimoine culturel d’un peuple qui nous dénie le droit de le faire…

Une chose me touche au plus profond de moi-même: ce Wagner avait dit de lui-même qu’il était le plus allemand de tous les Allemands. Et pour nous qui avons porté au pinacle la langue et la philosophie allemandes dont il se prétendait le produit le plus abouti, ne sommes-nous pas passés à côté de l’essentiel?


Maurice-Ruben HAYOUN
Philosophe, exégète et historien des idées, Maurice-Ruben Hayoun, professeur des universités (Strasbourg, Bâle, Heidelberg), est un spécialiste reconnu de la philosophie juive médiévale et de la pensée judéo-allemande. 
Texte mis en ligne sur son blog de La Tribune de Genève le 2 avril 2012

3 commentaires :

Anonyme a dit…

Une analyse des plus intéressantes qu'il convient de réinscrire dans ses fondements historiques.

Les traités de Westphalie, en 1648, confirmèrent cet émiettement de l’autorité en Allemagne si bien que ce peuple, privé de pouvoirs politiques diplomatiques militaires, chercha à s’exprimer par l’écrit, la parole, l’exaltation de sa langue et une sorte d’auto adulation. En voici quelques exemples :

« En ce qui concerne l’esprit scientifique et le sens artistique, les Allemands sont le premier peuple du monde » (Friedrich von Schlegel (1797).

« En ce qui a trait à l’universalisme aucune nation ne peut rivaliser avec nous » a écrit Novalis. Pour Henrich von Kleist, « il n’est aucun peuple sur terre dont on ait plus à attendre que les Allemands »
(1801) et aussi, en 1819 : « dans le sein de la nation allemande les Dieux avaient conservé le modèle de l’humanité plus pur qu’en aucun autre ». Fichte a su exploiter le seul trait commun aux Allemands de l’époque : la langue. « La plume à la main, a-t-il écrit, nous ne sommes inférieurs à aucune nation » et il poursuivait ainsi : … « seul l’Allemand peut être patriote, lui seul est capable, dans les objectifs proposés à la nation, de faire tenir l’humanité entière ». Quant à Hegel, il tenait la Prusse pour une
« manifestation organisée de l’esprit germanique ».

Hegel apporta comme suit sa contribution à l’exaltation du peuple allemand : « ce sont seulement les nations germaniques qui, dans le christianisme, se sont élevées les premières à la conscience de cette vérité que l’homme en tant qu’homme est libre et que la liberté de l’esprit constitue sa nature propre ». Ratzel avait avancé sa thèse relative à la vie biologique des Etats, France et Angleterre « sont de vieilles structures étatiques alors que l’Allemagne, jeune nation, a droit à l’espace nourricier qui lui fait défaut ». Fritz Bley, publiciste allemand : … « Nous sommes sans conteste le peuple des meilleurs guerriers du monde…. en sept batailles nous avons sauvé la civilisation de l’Europe ». Au début du XXème siècle Moeller van den Bruck décréta encore que l’Allemagne était « la mère des nations européennes, mais non leur tributaire ». A la même époque, les ligues pangermanistes réclamaient une Confédération des Etats du centre de l’Europe relevant de l’Allemagne, Berlin étendant aussi sa tutelle sur la Belgique, la Hollande, la Suisse, la Franche-Comté, la Savoie et, à l’est, la Pologne (Thèse de Reimer).

Anonyme a dit…

La France, en décadence, devrait, en outre, céder à l’Allemagne toutes ses possessions coloniales et, en cas de guerre, payer une indemnité de 100 milliards de francs.

C’est dans l’atmosphère ainsi créée par le verbe qu’Hitler commença son combat, avec d’ailleurs, le soutien enthousiaste de la quasi-totalité du peuple allemand, mis en condition par un siècle de vociférations nationalistes.
Les pangermanistes ont rallié aisément l’ensemble du peuple à leur cause y compris le recours à la guerre, condition du développement national. L’alliance franco-russe, suivie de la Triple entente (France, Angleterre, Russie) même face à la Triple Alliance - Triplice-(Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) déclencha de violentes réactions à Berlin qui cria à l’encerclement.
Et, déjà, envisageant une guerre contre la France qui serait suivie d’hostilités envers la Russie. L’économiste Sombart de l’Université de Berlin, allait justifier le recours à la guerre, unique moyen de surmonter la crise économique allemande (charges financières de l’armement, manque de capitaux). « Allemands de notre temps, nous irons à travers le monde, avec orgueil et avec la profonde conviction d’être le peuple de Dieu. De même que l’aigle, l’oiseau allemand, se meut bien au-dessus de tous les autres animaux, de même l’Allemand doit être convaincu de sa supériorité sur tous les autres peuples dont il est entouré et qu’il considère sous lui, à une insondable profondeur ».

Assurée de l’appui de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie s’en prit à la Serbie au lendemain de l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand, le 28 juin 1914.

Londres proposa une conférence à Quatre pour régler le différend Autriche-Serbie. L’Allemagne refusa et annonça qu’elle ne tolérerait pas les mesures militaires prises par les Russes. Elle lança un ultimatum à Saint-Pétersbourg et exigea que la France demeure neutre et, en garantie, elle devait céder aux Allemands Toul et Verdun. Le 2 août les troupes allemandes envahissaient le Luxembourg. La veille, la France avait mobilisé et, sagement, ne déployait ses forces qu’à 10 km de l’ouest de la frontière.

Anonyme a dit…

Haffner Sebastian, De Bismarck à Hitler. Une histoire du Reich allemand, Paris, La Découverte, 1991,(coll. «Textes à l'appui »).



Pourquoi et comment le Reich de Bismarck est-il devenu, contrairement à l'intention de son fondateur, un État expansionniste qui trouva en Hitler l'homme de son anéantissement ? Tel est l'objet de ce livre qui retrace en dix chapitres la courte vie — quatre-vingts ans — de cet État. L'auteur est un brillant essayiste libéral, « non académique », très connu en RFA. Il récuse la fatalité de l'expansionnisme allemand, la thèse de l'impérialisme social tout comme celle d'un Hitler, produit de l'histoire allemande. La politique d'expansion sous Guillaume II ne servit pas de soupape de sécurité aux tensions internes qui diminuèrent pendant les années « heureuses » wilhelmiennes, mais un « nationalisme » se développa, qui n'exprimait plus la recherche de l'unité nationale mais la prétention d'être un peuple à part, et qui entraîna la première guerre mondiale. Le traité de Versailles ne fut pas si défavorable. Affaiblie provisoirement par le désarmement et les réparations, l'Allemagne est renforcée à long terme, du fait de l'éclatement de l'Autriche-Hongrie et de la marginalisation de la Russie bolchevique. En pratiquant la déflation, Brüning laissa consciencieusement dépérir l'économie dans le seul but d'échapper aux réparations. En 1932, sur le plan extérieur, sa politique est couronnée de succès. L'Allemagne, débarrassée des réparations et du désarmement, retrouve son statut de grande puissance, mais, sur le plan intérieur, les masses appauvries se jettent dans les bras de Hitler.
Comme témoin, S. Haffner se souvient du « soulèvement national » qui accompagna l'arrivée au pouvoir du grand manipulateur. L'Allemagne du Führer, redevenue grande puissance unie, se trouvait dans la continuité du Reich, mais les Allemands ignorèrent ou acceptèrent, comme un détail, un élément de rupture, pourtant fondamental, l'antisémitisme ; cela fut possible parce que dans l'État hitlérien, fondé sur la propagande et la terreur, subsistèrent néanmoins d'autres États, des « niches », l'État des fonctionnaires, l'État des militaires... Devenu objet pour des vainqueurs en 1945, le Reich subsiste jusqu'à la création de deux États en 1949. Avec leur intégration dans deux systèmes opposés en 1955, l'après-Reich semblait durer... mais l'histoire des peuples n'est jamais écrite d'avance.

Dans une postface rédigée en décembre 1990, S. Haffner constate que la nouvelle unité, loin d'être achevée, pose en d'autres termes une nouvelle question allemande. Au total, même si certaines de ses interprétations méritent débat, S. Haffner rappelle utilement des faits parfois mal connus et remet en cause bien des idées reçues.