vendredi 17 août 2012

"Moi cochonne, je me suis donnée à un Juif", Allemagne 1933

"On ne pourra jamais en avaler autant que l'on devrait vomir" - c'est ce que le régime nazi inspire au grand peintre allemand Max Liebermann (20.12.1934).

Le 2 août Joods Actueel a publié un article sur la décision du CIO d'avoir tenu les Jeux olympiques de 1936 en Allemagne (à Garmisch-Partenkirchen et à Berlin) et notamment sur le rôle de son président le comte belge Henri Baillet-Latour, un homme proche des hautes sphères nazies dont il partageait certaines idées notamment sur les Juifs, et auquel l'actuel président du CIO Jacques Rogge a rendu hommage (voir: Berlin 1936: un Comité olympique trop proche des nazis 1 et 2. Cette histoire vécue en 1933 par une jeune femme et son ami juif (envoyé en camp de concentration) illustre l'horreur qui régnait en Allemagne et qui était publique et bien connue de tous.

Image parue en 1935 dans Der Stürmer de Julius Streicher. 
Dans son excellent ouvrage La vie mondaine sous le nazisme [1], l'historien français Fabrice d'Almeida décrit ce qui arriva en avril 1933 à Hildegarde Bollmann, une étudiante allemande âgée de vingt ans, qui s'était liée d'amitié avec un étudiant juif de son père, juriste de renom aux opinions modérées, et comment elle fut brutalement réprimée et humiliée:

"La traque s'étend alors à ceux qui comptent des Juifs dans leur entourage.  Il faut éviter la naissance d'enfants issus de couples mixtes.  Tôt, ces femmes ont subi des humiliations publiques pour avoir fréquenté un Juif.  Le témoignage de l'une d'entre elles, sous le nom de Hildegarde Bollmann, montre comment, dès avril 1933, ces pratiques étaient entrées dans les moeurs." [...]

"Amour purement platonique, explique-t-elle, tant le contrôle social de son milieu est fort. Il semble qu'elle ait été dénoncée par un concurrent de son ami."

La SA perquisitionne brutalement le domicile de son père où elle habite.   Son frère qui avait rejoint la SA "accepte cependant l'accusation contre sa soeur qu'il nomme désormais "la garce". Il encourage ses camarades SA à l'emmener au commissariat pour tirer l'affaire au clair.  Emprisonnée une journée, puis interrogée, elle est brisée et n'a pas la force de lutter. Aucune accusation formelle ne peut être retenue contre elle pour question raciale, car la législation n'est pas encore en place. [...] Finalement, elle est entraînée avec huit ou neuf autres malheureuses dans un mauvais cortège.  Une pancarte est agrafée sur sa poitrine, sur laquelle il est écrit: "Moi cochonne, je me suis donnée à un Juif".  Elle parcourt ainsi plusieurs rues du centre-ville sous les injures et les quolibets avant d'être ramenée au commissariat."

Son oncle, un militaire de haut grade, parvient à la faire libérer. Elle quitte l'Allemagne pour que "son déshonneur ne rejaillisse pas davantage sur sa famille".


[1] La vie mondaine sous le nazisme, Perrin, 2006, p.p. 132-133.
[2] Le récit de Hildegarde Bollman se trouve dans My life in Germany before and after January 30, 1933, Harvard University, Widemer Library, fonds.

Image parue en 1935 dans Der Stürmer de Julius Streicher.

1 commentaire :

Anonyme a dit…

Cela décrit bien la métamorphose d'une petite minorité qui, à l'issue d'une émancipation de deux siècles, a fini par être perçue comme une menace mortelle pour l'intégrité nationale allemande...

Difficile réalité du mariage des identités et la perte des anciens repères religieux; celle-ci peut être datée néanmoins dès l'entrée en 1743 du jeune Moses Mendelssohn dans Berlin par une porte réservée aux Juifs et aux animaux.

Certains ont refusé de voir ce qui se profilait. On ne sait pas si l'Histoire se répète mais ses rendez-vous se ressemblent.