lundi 24 septembre 2012

Anatomie d'un mensonge: retour sur le film 'L'Innoncence des Musulmans'

Anatomy of a lie, par Joseph W @ Jewish Chronicle et Harry's Place. Un des meilleurs articles écrit sur ce que tout ce chaos révèle sur l'antisémitisme présent en Europe.

Caricature antisémite publiée
au Qatar et en Algérie
A la date anniversaire du 11 Septembre, Chris Stevens, un diplomate américain posté en Libye, fut assassiné par des islamistes. Concomitamment, des manifestations éclataient dans de nombreux États à majorité musulmane contre la bande annonce d'un film "L'innocence des musulmans" qui est insultant envers Mahomet et la religion musulmane en les présentant sous un aspect négatif. Il a été démontré que l'assassinat de M. Stevens était pré-planifié, et qu'il n'était pas, par conséquent, lié aux manifestations autour de la vidéo de quatorze minute mise en ligne sur le site de partage Youtube. Néanmoins, la semaine dernière, nombreux furent ceux dans les médias classiques et dans les médias sociaux qui imputaient la responsabilité de l'assassinat de l'ambassadeur Stevens à la provocation apparente de "L'innocence des musulmans".

Leur attention s'est détournée des motivations, du contexte et de l'identité des meurtriers pour se concentrer sur les motivations, le contexte et l'identité du cinéaste. Un utilisateur de Youtube s'identifiant comme "sambacile" avait téléchargé sa vidéo qui allait mettre le feu aux poudres. Quelques heures après l'assassinat en Libye, "Sam Bacile" s'est présenté à des journalistes comme étant un Juif israélien et en affirmant que son projet de film avait été rendu possible grâce à une centaine de donateurs juifs qui avaient collectivement déboursé cinq millions de dollars en vue de sa réalisation. Le Wall Street Journal - une source de nouvelles en général équilibrée et fiable sur le Moyen-Orient - a présenté Bacile comme un Juif israélien.

L'allégation que le réalisateur et ses soutiens étaient des Juifs riches se propagea rapidement sur Internet. Il ne fait pas de doute que cette présentation des faits posait problème. Le début de la vidéo montre un massacre de chrétiens. Tout au long du film des croix occupent une place proéminente. Une immense croix en bois a été utilisée comme toile de fond dans une scène-clé interprétée par un acteur qui incarne Mahomet. Il est évident que la réalisation d'un tel film n'a pas coûté cinq millions de dollars, compte tenu de l'utilisation de décors bon marché, de la mauvaise qualité de l'interprétation et du doublage parfaitement ridicule. De surcroît, la vidéo est composée de parties essentielles de différentes scènes collées ensemble, sans aucune voix off, sans effets contextuels ni de musique qui auraient pu la faire passer pour une bande de lancement véridique.

Devant tant d'anomalies, un journaliste de Channel 4 a fait remarquer en plaisantant que le film était tellement mal ficelé que les généreux donateurs juifs, s'ils existaient, pourraient bien vouloir récupérer leur argent. Mais ces bailleurs de fonds mystérieux - une allégation jamais confirmée - ont continué à être évoqués par ceux qui brûlaient des effigies, par des émeutiers en colère et dans les biographies de l'ambassadeur Stevens publiées dans les médias. Il devenait de plus en plus troublant de constater la facilité avec laquelle le mensonge "Bacile" a été cru.


Avec le recul, il semble incroyable que les gens aient pu croire un seul instant que le producteur et le metteur en scène étaient juifs et que des Juifs riches avaient dépensé une fortune pour réaliser un film qui a provoqué tout ce chaos. Pourquoi les grands organes de presse comme la BBC ont continué à répéter des allégations non fondées sur Bacile? Alors que tant de signes clairs montraient que le lien juif était faux.

Le film aura coûté au maximum quelques milliers de dollars. Pourtant, les gens croyaient qu'il avait englouti un budget de plusieurs millions de dollars pour la simple raison qu'on avait prétendu que des donateurs juifs étaient impliqués. Il est malheureusement difficile de ne pas arriver à la conclusion que si on avait supprimé l'allusion à des donateurs juifs, personne n'aurait cru que le film avait coûté cinq millions de dollars. Il y a dans certains segments de la société occidentale la croyance que les Juifs sont riches, politiquement puissants, et très motivés à défendre leurs intérêts au détriment de ceux des autres. L'avarice juive et l'obsession de l'argent sont ponctuellement un sujet humoristique en Grande-Bretagne. Grâce à ces plaisanteries, nous avons un aperçu de la façon dont certaines personnes perçoivent les Juifs.

Lorsque nous entendons de telles blagues, nous sommes tentés de penser que ça ne porte pas à conséquence. Mais quand on voit avec quelle facilité les gens croient que les Juifs sont prêts à dépenser des milliers de livres pour un vulgaire dépliant ou des millions pour des films d'amateurs sur Youtube, force est de conclure que nous sommes face à un problème qui va bien au-delà de l'humour. Nous devons nous rappeler que les croyances antisémites sur les Juifs qui sont riches ou obsédés par l'argent existent depuis des siècles. Il serait dangereux de croire que soudainement elles ont disparu. Le croire impliquerait ignorer une montagne de preuves qui démontrent que le préjugé est bien vivant.

Un titre du Guardian prétendait que Bacile était un "metteur en scène israélien" et évoquait l'omniprésence de "donateurs juifs" dans l'article. Lorsqu'il fut démontré que Bacile avait des origines coptes plutôt que juives, The Guardian n'a pas corrigé le titre. Pourquoi The Guardian s'accroche-t-il à une fausse allégation, alors même qu'il a été prouvé qu'elle est fausse?

Quelques jours plus tôt, le 6 septembre, The Guardian évoquait des donateurs juifs dans un cadre différent. Dans un article sur la convention démocrate qui réaffirmait son soutien à Jérusalem comme la capitale d'Israël, le journaliste écrivait comme allant de soi: "Des donateurs juifs, en particulier à New York, et les groupes de pression pro-israéliens sont des généreux donateurs non seulement d'Obama, mais de sénateurs et de députés de la Chambre qui sont également candidats à des élections en novembre. "

Il y a des donateurs de toutes sortes de couleurs et de croyances qui soutiennent les politiciens américains. Il est donc remarquable que The Guardian ne se concentre que sur les donateurs juifs. Les lecteurs, s'ils ne savent pas qu'il y a des bailleurs de fonds politiques d'autres origines ethniques et religieuses, sont fondés à conclure à la lecture de cet article que les Juifs riches agissent en sous-main à leur avantage sur la politique américaine. Logiquement, quand "Sam Bacile" a débité des fariboles sur une centaine de riches donateurs juifs qui avaient financé son projet, l'idée a frappé une corde sensible chez ceux qui acceptent tacitement les théories à propos des Juifs riches qui veulent provoquer des troubles au Moyen-Orient.

Il est tentant d'être frappé d'incrédulité et de se moquer de gens instruits qui croient si facilement à un mensonge à propos des Juifs. Pourtant, c'est une une tendance très claire qui émerge, et elle devrait nous inciter à nous inquiéter plutôt qu'à nous amuser.

Cette année, lors du synode annuel, l'Église anglicane a voté en faveur du programme anti-Israëlien religieux et politique du groupe œcuménique (EAPPI), qui est piloté par le Conseil œcuménique des Eglises. Comme c'est logique, des représentants juifs et des dirigeants communautaires exprimèrent leurs inquiétudes au Synode. Des vicaires n'hésitèrent pas à accuser "de puissants lobbies" qui cherchent à influencer le Synode. De manière significative, John Dinne, l'auteur de la campage pro-EAPPI, a déclaré qu'un modeste dépliant de format A4 "devait avoir coûté £ 1.000". L'hypothèse implicite est claire. C'était la preuve de manoeuvres financières et politiques menées par des Juifs pour faire capoter la motion en faveur d'EAPPI. Ce qui est certain c'est que le dépliant n'a pas coûté un millier de livres, tout comme la bande annonce du film "L'innocence des musulmans" n'a pas coûté cinq millions de dollars.

Lorsque Ken Livingstone a fait campagne pour la mairie de Londres en mai dernier, il a exprimé la conviction que les Juifs ne voteraient pas pour lui parce qu'ils sont riches et que les riches votent pour les Conservateurs. Au final, Livingstone a perdu d'un peu plus de 60.000 voix. Dans la foulée, certains ont suggéré avec joie que si Ken ne s'était pas aliéné tant d'électeurs avec ses remarques injustes sur la richesse des Juifs, son score aurait pu se rapprocher de celui de son challenger Boris Johnson. La raison qui a poussé Ken Livingstone a délibérément courir le risque de mécontenter son électorat juste pour pouvoir faire sa remarque au sujet de l'argent juif est incompréhensible.

Chez certains esprits, le mensonge peut s'avérer fatal. En 2006, Ilan Halimi fut, à l'âge de 24 ans, kidnappé en France. Ses ravisseurs essayèrent d'extorquer de l'argent à sa famille. Ils étaient convaincus que le jeune homme était riche du fait qu'il était issu d'une famille juive marocaine. Cependant, la famille Halimi n'était pas plus riche que la famille de ses ravisseurs. La rançon ne fut pas versée, il fut torturé à mort et assassiné.

La charte infâme Hamas professe que les Juifs: "Avec leur argent, ils ont mis la main sur les médias du monde entier: presse, maisons d'édition, stations de radio etc. Avec leur argent, ils ont soulevé des révolutions dans plusieurs parties du monde afin de servir leurs intérêts et réaliser
leur objectif. [...] ils ont mis sur pied des sociétés secrètes [...] afin de saboter les sociétés et servir les intérêts sionistes."

Quand on voit des Occidentaux défiler pour montrer leur solidarité avec le Hamas, cessons de croire qu'ils ignorent ces passages peu recommandables de la charte du Hamas. Il est bien plus probable que les accusations du Hamas sur l'argent juif correspondent à ce que beaucoup de gens instruits croient sur les Juifs.

Dans ce contexte, les médias ont certainement la responsabilité de ne pas renforcer les préjugés mais plutôt de les démonter. Pourtant, ces dernières années, nous avons vu une version plus subtile de cette notion, qui s'insinue lentement dans la pensée politique dominante. [...]

Nous aurons à composer avec le fait inconfortable et pénible qu'au 21e siècle les préjugés ridicules au sujet de l'argent et de l'influence des Juifs sont bien réels. La théorie du complot instigué par une centaine de donateurs juifs est la dernière variation sur ce thème.

Si les médias sont enclins à publier des informations invraisemblables sur l'argent juif c'est uniquement parce qu'elles savent que la société en général est prête à les croire. Le plus longtemps ce cercle vicieux se poursuivra, le plus les Juifs seront pris dans des stéréotypes où on les coince, enferme et emprisonne avec beaucoup de légèreté.

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